Panel sur « la guerre de l’Est et ses agendas cachés ». Les recommandations des universitaires et des participants
Le Panel sur la guerre de l’Est et ses agendas cachés, tenu jeudi 10 mai dernier à l’Université de Kinshasa dans la salle Kamel Morjane , à l’ invitation conjointe de l’Institut Congolais de recherche en développement et études stratégiques ( ICREDES en sigle),le Centre d’études politiques de l’université de Kinshasa( CEP) ainsi que le groupe de presse le Potentiel, Télé 7 et Radio 7 ,dont premier compte rendu paru dans le Potentiel de lundi 14 mai dernier, a débouché ,comme il fallait s’y attendre ,à des recommandations adressées aux divers segments de la société congolaise ,lesquelles s’inscrivent dans un processus global visant à relever les défis basiques qui bloquent le règlement définitif de cette guerre de caractère essentiellement impérialiste. En effet, et pour rappel, le Panel a connu trois moments importants, outre le débat général. Les quatre interventions constitutives du premier moment étaient animées successivement par Arsène Mwaka, Freddy Mulumba Kabuayi, Emmanuel Kabongo Malu et Philip Baudouin Biyoya.
ORIGINES, ENJEUX ET BUTS DE LA GUERRE DE L’EST
Dans son intervention intitulée « la Gouvernance comme facteur de balkanisation »le politologue Arsène Mwaka a démontré que la Mal-gouvernance de la RDC est le facteur cardinal de la récurrence de guerres qui sévissent à l’Est, avec pour conséquence majeure une balkanisation annoncée de la RDC. La Mal-gouvernance de la RDC se caractérise ici par l’impéritie et l’incapacité de l’Etat congolais à sécuriser les biens et les personnes, à prendre en charge les coûts de la vie des populations dont il a en charge le destin historique. La misère grandissante, l’insécurité généralisée, la non mise en valeur des terres, la non exploitation des ressources naturelles, la faiblesse de l’Administration, de l’armée et de la police … sont, non seulement symptomatiques de la faiblesse de l’Etat congolais mais aussi incitatifs des Etats et peuples voisins pour conquérir le Congo. La faiblesse endémique de l’Etat congolais apparaît, au jour d’aujourd’hui, comme une complicité dans le processus de balkanisation de la RDC. Cette complicité est d’autant plus flagrante que les dirigeants des institutions étatiques congolaises excellent dans le business, instrumentalisant l’homo politicus en homo economicus. C’est la prédominance de l’impolitique donc du sous-développement au détriment du politique.
Le journaliste et politologue Freddy Mulumba, preuves à l’appui, a montré, dans son intervention intitulée « l’existence du projet de balkanisation »que ce projet a un caractère colonialiste et internationaliste, donc fondamentalement capitaliste. Sur base des écrits occidentaux (John le Carré, Jacques Attali…), le conférencier a assis la matérialité du projet de balkanisation. La balkanisation est une réponse à la mutation du capitalisme. En effet, le capitalisme s’est nourri, dans premier temps, du sang rouge de l’homme Noir pendant les quatre siècles de la traite négrière, période où l’homme noir était l’unique marchandise par excellence ;ensuite le capitalisme s’est renforcé avec la colonisation c’est-à-dire de l’exploitation éhontée de l’homme et des ressources du sol et sous sol de pays colonisés ;aujourd’hui, la Mondialisation( l’autre nom du capitalisme colonialiste) va se nourrir de la balkanisation de la RDC c’est-à-dire de la dépossession du congolais de son sol et de son sous-sol au profit de l’Occident pauvre et prédateur. Ce projet, qui est déjà en exécution, a des chances de réussir à cause de la complicité locale et de la léthargie du peuple congolais.
Le troisième intervenant, le philosophe Emmanuel Kabongo Malu a planché sur « RDC, la chapelle des impuissances : balkanisation ou disparition ? ». Pour l’universitaire congolais, la RDC est, cinquante ans après l’indépendance un pays qui a perdu son autonomie politique, sa souveraineté économique et financière, renvoyant ainsi son peuple dans les sauvageries sociales !La présence de la Monusco comme gouvernement mondial de la RDC, partageant les mêmes prérogatives régaliennes avec gouvernement légal en ce qui concerne la sécurité des frontières, des hommes et de leurs biens ainsi que la stabilisation de la RDC montre bien que le Congo est sous la botte de la communauté internationale. La débilitation de l’Etat congolais est toujours et déjà en œuvre à travers l’agencification caractérisée par l’installation au sein des ministères des agences internationales d’exécution de l’aide, lesquelles ,sous la houlette des bras technocratiques de la mondialisation que sont la Banque mondiale, le Fond monétaire international, l’organisation mondiale du commerce et autre OHADA exécutent les désidérata de la communauté internationale au travers nos ministères au détriment des intérêts locaux et au détriment des intérêts du peuple congolais .Cette perte de l’autonomie politique est accentuée par la perte de la souveraineté économique et financière de la RDC. Cette déperdition est visible au travers plusieurs processus en œuvre : les activités industrielles et bancaires sont détenues essentiellement par des groupuscules étrangers, dont essentiellement libanais, juifs, indiens et pakistanais.
Les activités ayant trait aux infrastructures sont confiées prioritairement aux chinois et aux occidentaux sans tenir compte des entreprises congolaises qui sont pourtant détentrices d’une véritable expertise en la matière. Tous ces entrepreneurs étrangers paient, sous pression les quelques rares entreprises et banques détenues par les Congolais. Tout comme l’Etat congolais lui-même, à travers la privatisation en pièces détachées des entreprises et services publics, a accentué le processus de décongolisation de l’économie congolaise. Autant les Congolais ont perdu la mainmise sur leur économie, autant les congolais ont perdu leur souveraineté financière et monétaire. En effet, contrairement à la constitution, deux masses monétaires circulent concomitamment en RDC :une masse monétaire en Francs congolais représentant seulement 5% de la valeur totale de la monnaie en circulation tandis que la masse monétaire en dollar représente 95 % !En conséquence, la Banque Centrale du Congo a perdu le contrôle du système bancaire et de la monnaie du fait de l’origine des capitaux et de la dollarisation de l’économie. La Banque Centrale est donc incapable de jouer son rôle de dernier préteur de l’économie congolaise donc du centre d’impulsion du développement de la RDC.
D’où la question : comment un pays cinquantenaire, plusieurs fois millionnaires en populations, peut- il perdre son autonomie politique, sa souveraineté économique et financière ? Les violences peuvent faire perdre à un peuple et à un pays son autonomie. Pourtant, a relevé le conférencier ,tous les pays du monde subissent ,à des degrés divers, des violences immenses( Israël et les Arabes, Indiens et Pakistanais, Iran et la communauté internationale, l’Afghânistân et l’Otan …) sans que les peuples agressés arrivent à abandonner leur espace vital aux envahisseurs !Pour le conférencier, le Congolais, contrairement aux autres peuples qui résistent et protègent leur espace vital jusqu’au sacrifice suprême parce qu’ils ont une identité collective forte comme capacité de refus de tout joug,-le Congolais lui a cédé son espace vital aux étrangers parce qu’il a perdu son identité collective ,cette lame de fond de la solidarité d’un peuple, ce levier de la capacité organisationnelle d’un peuple, cette unité de sens de peuple !C’est pourquoi ,le Congolais ,exclu de l’espace politique de la gestion de sa quotidienneté ainsi que de l’espace économique de gestion de la prospérité ,se refugie, comme tout peuple dont la mémoire historique est désorientée et laminée ,dans les sauvageries collectives et dans les spiritualités de crétinisation collective, lesquelles se lisent comme des indicateurs sociétaux caractéristiques d’un peuple qui a perdu le sens de son destin collectif.
La dernière communication intitulée : « les clés de lecture des conflits à l’Est de la RDC » animée par le politologue Philip Biyoya s’articule autour d’un paradigme central :la déchéance de la RDC est la résultante ,d’une part ,de l’émergence de nouvelles puissances en AFRIQUE centrale et, d’autre part, de la perte ,par la RDC, de la mainmise sur ses instruments de puissance que sont l’Armée, la police, l’économie, l’industrie !Pour Philip Biyoya, une dialectique organique existe entre l’affaiblissement étatique du Congo et l’émergence de nouvelles puissances africaines lesquelles ne peuvent survivre qu’en vassalisant politiquement, économiquement la RDC. Celle-ci accentue cette déchéance en abandonnant, voire en assassinant consciemment ses instruments de la puissance que sont l’armée, les forces de sécurité ainsi que l’économie. De ce fait, le Congo a oublié que l’Etat moderne s’appuie sur la violence et/ ou la richesse dans la conduite des affaires. Le Congo a perdu la gestion de ces paramètres et est donc victime de vaincus d’hier.
LES CONTRIBUTIONS
Le Panel sur la guerre de l’Est et ses agendas cachés a eu le bonheur de circonscrire les enjeux cachés de cette guerre :les enjeux internes qui se dévoilent au travers la Mal –gouvernance de la RDC dont la gestion politique est dominée par le business :la guerre est une véritable affaire ;les enjeux mondiaux portés par la volonté de la communauté internationale impérialiste de s’accaparer par la guerre de richesses de la RDC pour alimenter un capitalisme exsangue ;les enjeux d’extermination mémorielle d’un peuple pour le réduire en une simple statistique humaine ayant perdu le sens de son histoire et le volant de son destin ,devant ainsi laisser l’exploitation de ses richesses à la puissante Amérique du Nord ,laquelle a déjà réduit les indiens et les Inuits en des véritables zombies ;les enjeux de l’émergence de nouvelles puissances africaines dont la survie dépend du démantèlement de la RDC comme puissance.
Cette conférence suivie d’un débat houleux et riche, a été enrichie par des contributions de haute facture de professeurs de l’Université de Kinshasa. Ainsi le professeur Bongoyi a –t-il révélé à l’assistance, que lors de sa visite d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique, le président Joseph Kabila avait été surpris par ces mots de Bush qui en disent long : « le Congo est notre pays à tous monsieur le président ».Le professeur Kalele a rappelé ce discours du sous-secrétaire d’Etat Moose qui disait : « le pays où coule le miel n’est pas la Palestine mais la RDC. Mais comme les Congolais sont incapables de le gérer, nous allons le donner aux Hima-Tutsis pour mieux le gérer au profit de tous ».
Les recommandations des universitaires et participants
Nous, participants au Panel sur la guerre de l’Est et ses agendas cachés tenu à l’UNIKIN le jeudi 10 mai 2012 ;
° Conscients de l’extrême gravité de l’insécurité généralisée inhérente à la guerre récurrente de l’Est ;
° Prenant la mesure de tous les agendas cachés de cette guerre, dont ceux de la déstabilisation et de la balkanisation du pays, lesquels hypothèquent le destin de la nation ;
° Mus par notre solidaire engagement politique, social et patriotique ; Recommandons aux divers segments de notre société de s’inscrire, ici et maintenant, dans un processus global visant à relever les défis basiques ci-après qui bloquent le règlement définitif de cette guerre, à savoir :
1. Le défi de la reconstruction de la conscience historique et de l’identité collective, en tant que capacité collective de refus de tout ce qui avilit l’homme et de tout joug ; capacité collective de résistance contre tous les ennemis du peuple congolais, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur.
2. Le défi de la responsabilité avérée de certains congolais qui se rendent complices,-et donc traitres,- du projet de la balkanisation par leur manière de penser, d’agir et de gouverner ou d’administrer.
3. Le défi d’une intelligence géopolitique et géostratégique alternative, entendue comme une intelligence de puissance dans un monde confronté à des mutations, à des équilibres et à des enjeux nouveaux.
La balkanisation de la RDC est en train de devenir un paradigme majeur qui capte l’attention des penseurs congolais qui vont encore ,ce vendredi 25 mai , dévoiler les pans entier de la balkanisation politique ,administrative, économique de la RDC. C’est dire que la RDC se prend en charge. Par ce que quand la RDC se réveillera l’Afrique se développera.
EMMANUEL KABONGO MALU
FORUM & ANALYSE
Source: Le Potentiel, May 24, 2012
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